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Le Twéroulandaga

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L’art est une activité humaine, le produit de cette activité ou l’idée que l’on s’en fait en faisant référence aux sens, émotions, intuitions et intellect. Le mot « art » vient du terme latin ars qui signifie « arrangement », « habileté ». Il regroupe une grande variété de disciplines dont le but principal est de concevoir une œuvre en faisant appel à des canons esthétiques et à l'émotion pour la partager avec des amateurs qui la reçoivent et l'interprètent selon leur sensibilité propre. Si l’art demeure le propre de l’Homme, c’est-à-dire un fait humain et une pratique sociale, il reste que sa conception varie d’un territoire, d’une société, d’un pays, d’une région, d’un continent à un autre. Une chose semble être reconnue, c’est que l’art renvoie au beau, à l’esthétique. On retrouve l’art dans presque tous les domaines de la vie humaine, dans tous les pays et continents. C’est pourquoi d’ailleurs l’on parle d’art européen, asiatique, africain, etc. et plus encore de l’art oratoire, la littérature, le cinéma, la gastronomie ou l’art culinaire.

Ainsi, on pourrait parler d’art culinaire africain en général, et burkinabè en particulier. La tendance aujourd’hui en Afrique et au Burkina Faso en particulier, c’est de valoriser la culture dans notre monde où la règle d’or serait le « rendez-vous du donner et du recevoir », selon les termes du poète écrivain Aimé Césaire. La 18e édition de la Semaine Nationale de la Culture s’est focalisée cette année sur « la culture et la cohésion nationale ». C’est dans cette logique que nous nous sommes intéressés à une manifestation culturelle particulière qui est l’art culinaire plus précisément les plats lourds. Dans la suite de notre travail nous allons d’abord présenter le plat sur lequel nous avons jeté notre dévolu, puis nous en ferons une analyse pour faire ressortir les composantes qui relèvent du fonds traditionnel et celles qui sont un apport de la modernité. Enfin, nous expliquerons comment les acteurs de cet élément culturel font face, dans leur contexte, aux problèmes que pose le phénomène de la mondialisation et comment ils s’adaptent pour ne pas disparaître.

I-                Présentation du mets twéroulandaga

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L’ouverture officielle du concours d’art culinaire a eu lieu le 29 mars 2016. Pour cette 18e édition, quatorze participants ont rivalisé de talents et de savoir-faire dans quatre disciplines que sont les plats lourds, les plats légers, les desserts et les boissons. Encore faut-il préciser que l’art culinaire relève de la culture matérielle

Pour cette biennale, « les produits non ligneux sont surtout valorisés au regard de leurs vertus », a confié Mme Bibata Koté, présidente de la sous-commission de l’art culinaire.

Les critères retenus pour cette compétition sont entre autres la créativité, la présentation, le dosage et les ingrédients. Pour cette édition, Mme Kabem Fati Alorouba a présenté le twéroulandaga, avec la combinaison de plusieurs produits non ligneux. Cette dernière a comme activité principale la transformation des produits forestiers ligneux et non ligneux.

Mme Kabem Fati Alorouba décline bien l’objectif de sa participation à la 18e édition de la SNC : « C’est pour qu’un jour nos enfants connaissent le passé des restaurations de leurs mères ». En d’autres termes, elle voudrait inscrire ce mets dans le livre d’histoire de l’art culinaire africain en général, et burkinabè en particulier. Le nom donné à ce mets est le suivant : « la beauté des arbres est très grandiose » ou « twéroulandaga », en langue kasem, dans la commune de Pô (province du Nahouri).

Les ingrédients du twéroulandaga sont les suivants :

-        Les feuilles du stricknos spinosa (nom scientifique) ou kampounkoura (en kassem) ou encore poualonga (en mooré) ;

-        Les graines de l’acacia macrotachya (nom scientifique) ou saborpogobié (en kassem) ou encore zamminga (en mooré) utilisées souvent dans le traitement angine ;

-        Les graines du boscia senegalensis  (nom scientifique) ou kelou (en kassem) ou encore lambwètga (en mooré) ;

-        Les feuilles de moringa oleifera(nom scientifique) ou arzanatuyou (en kassem) ou encore arzanetiiga (en mooré) dont on peut énumérer quelques propriétés : protéines, fibres, vitamine B, A, C et E, magnésium, potassium, fer, calcium et acides aminés, antioxydants pour le diabète du type 2, traitement de l’anémie, des carences en fer, en vitamines A ou en micronutriments, reconstruction des os fragiles, stimulant pour la mémoire ; 

Mme Kabem Fati Alorouba explique qu’il faut au moins deux (02) heures de temps pour son plat, le twéroulandaga, cuise : « Il faut d’abord préparer les graines. Tu les déposes de côté. Si elles sont cuites, tu les laves trois fois pour éliminer l’arrière-goût qu’elles ont. Quand tu vas finir de préparer, tu fais ta sauce aux feuilles de moringa. Maintenant, tu sers tes graines d’acacia et tes feuilles de stricknos mélangé autour. Moi j’ai dit que j’allais présenter ça sous forme d’un pic, autour je passe les produits jusqu’à remplir mon plateau et ma sauce de moringa et de tomate, je vais maintenant servir et passer au-dessus ». Mme Kabem Fati Alorouba est catégorique quant à l’utilisation du bouillon culinaire couramment appelé ‘’maggi’’ : « Non. On ne met pas maggi dans cette sauce. Je vais faire cette sauce naturelle comme on le veut. J’ai payé l’huile d’arachide que je vais utiliser. Je vais mettre de la tomate en plus des petits ingrédients (oignons, ail, persils…). Pour décorer, je vais mettre des œufs, des carottes fraiches, de la tomate, du piment, du poivron frais pour embellir le plat ».

II-             Les composantes qui relèvent du fonds traditionnel et celles qui sont un apport de la modernité

Les composantes qui relèvent du traditionnel sont assez insignifiantes dans la description du mets de Mme Kabem Fati Alorouba :

-        Les feuilles et fruits non ligneux : les principaux éléments constitutifs du plat de Mme Kabem Fati Alorouba sont des produits non ligneux utilisés jadis par les ancêtres africains sous d’autres formes. Le moringa par exemple a toujours été utilisé chez plusieurs peuples du Burkina comme sauce de base ou d’accompagnement pour les begnets.

-        L’utilisation de la poterie : la poterie a longtemps été utilisée comme marmite dans la cuisson des aliments comme des boissons. Selon certains gourmets africains, cela permet de conserver le goût naturel des aliments après cuisson. D’autres peuvent même savoir le type de marmite qui a été utilisé dans la cuisson d’un aliment au simple goûter de celui-ci.

Les éléments qui relèvent de la modernité, eux, sont assez nombreux :

-        L’utilisation des ustensiles de cuisine comme la marmite, la louche, les plats en aluminium relève en effet de la modernité ;

-        Le gaz ;

-        Les éléments comme l’huile d’arachide et ingrédients utilisés pour la décoration comme les oignons, l’ail, les persils, les œufs, carottes fraiches, la tomate, le piment, le poivron frais.

-        L’utilisation des plateaux et la décoration du mets.

Tous ces éléments relèvent de la modernité mais ils n’entravent en rien l’originalité du mets et n’altère pas le goût. Au contraire, ils servent d’attrait et relèvent le goût du plat pour répondre aux attentes du public, d’autant plus que la beauté d’un plat est un élément capital même si le goût est décisif. Ce qui est appréciable à ce niveau, c’est la non-utilisation du bouillon culinaire communément appelé « maggi ». L’hygiène a été de mise. En fin de compte, même si Mme Kabem Fati Alorouba n’a pas été lauréate, elle a eu le mérite d’avoir inventé son plat à base de produits non ligneux, un met naturel et profitable pour la santé humaine.

III-         Attitudes face aux problèmes que pose le phénomène de la mondialisation et modes d’adaptation

La tendance de consommation est plus tournée vers les produits occidentaux qu’africains. La jeunesse, frange de la population dominante, n’est pas incitée à la consommation des produits africains et cela se constate bien souvent pendant les cérémonies sociales comme le baptême, le mariage, les funérailles… Dans les restaurants au Burkina, rares sont les produits africains qui apparaissent sur le menu. C’est pourquoi d’ailleurs le ministre de la culture, M. Tahirou Barry déclarait à l’ouverture de la compétition d’art culinaire : « Nous envisageons à travers ce que nous avons vu, faire l’édition d’une plaquette de recettes que nous allons distribuer  dans les grands restaurants afin que tous les Burkinabè connaissent leur richesse en matière en matière culinaire et qu’ils puissent les apprécier et les consommer ».

Mme Kabem Fati Alorouba pense qu’elle pourra faire la promotion de son mets, d’où justement sa participation à la compétition catégorie art culinaire de la SNC. Dans sa province de résidence (Nahouri), elle fait justement la promotion des produits ligneux et non ligneux à travers leur transformation. Elle reste convaincue que les produits africains sont pleins de valeurs nutritionnelles et que l’Afrique n’a rien à envier aux produits européens qui drainent très souvent des tas de maladies. La dénomination de son mets c’est-à-dire le twéroulandaga ou « la beauté des arbres est grandiose » en dit long sur sa détermination à faire la promotion des produits non ligneux et faire connaître la richesse naturelle que nous offre la nature et à laquelle nous tournons souvent dos incognito. Justement pour ne pas que l’utilisation de ces produits non ligneux restent lettres mortes, Mme Kabem Fati Alorouba a donc pris résolument la route de la SNC, vitrine de la culture burkinabè dans toute sa diversité. Elle veut faire que la génération montante découvre son mets. C’est dans cette logique d’ailleurs que le concours d’art culinaire est organisé. Cependant la tâche n’est pas toujours aisée, même si sur plusieurs sites la tendance était à la consommation des mets locaux traditionnels.

En tant que chercheur en Sciences de l’Information et de la Communication, nous pensons que les propositions suivantes peuvent permettre à l’art culinaire et à ses acteurs de survivre aux « griffes » de la mondialisation.

-        Faire la promotion des lauréats de l’art culinaire à travers la préparation et la consommation de leurs mets pendant les séminaires et ateliers organisés par l’État burkinabè ;

-        Constituer un budget spécial pour la promotion de l’Art culinaire au sein du ministère en charge de la Culture ;

-        Instituer la semaine de dégustation des mets primés à la SNC dans les différentes localités du Burkina.


Au terme de notre étude, nous avons pu réaliser que l’art culinaire a encore de beaux jours devant lui pourvu que les différents sachent s’adapter au temps. De plus en plus, la tendance est à la consommation bio. Et l’identité culturelle pas par la valorisation de la cuisine nationale. Dans un contexte de mondialisation où il n’existe plus de frontières culturelles, il devient plus qu’indispensable de promouvoir la culture du Burkina Faso à travers l’art culinaire. Et les différents acteurs ne devront pas lésiner à financer ce pan de la culture burkinabè chaque fois que de besoin. Cela s’impose désormais si l’on ne veut pas se fondre dans la moule de la mondialisation où toutes les nations sont censées « donner et recevoir » de leurs cultures respectives. « Alea jacta est[1] » c’est-à-dire « les dés sont jetés », il faut donc jouer et jouer de sorte à ne pas perdre.

 

 

 

 


[1] Proverbe latin pour dire que « le sort est déjà jeté »



06/05/2016
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